Crise identitaire à Brazzaville

Crise identitaire pendant les conflits civils des années 1990 dans la ville de Brazzaville, en République du Congo.

Introduction

Depuis l’accès à l’indépendance, et surtout après les premières élections démocratiques dans un cadre multipartiste, de multiples conflits civils ont ravagé la ville de Brazzaville, capitale administrative et politique de la République du Congo.
Nous tenterons ici d’apporter des éléments de réponse concernant la formation d’une identité nationale pendant cette période de construction démocratique et la responsabilité des politiques dans ces confits, ceux-ci même qui ont utilisé les identités ethniques comme un outil pour l’accès où le maintien au pouvoir de leurs partis.
Au préalable, nous poserons les bases nécessaires à l’étude, ainsi nous évoquerons la répartition géographique des ethnies à Brazzaville, puis nous nous attellerons à définir l’identité Brazzavilloise et son évolution au fil des régimes politiques dans un contexte d’instrumentalisation des identités ethniques.

Répartition ethnique dans l’espace géographique.

Pour mener à bien notre analyse, nous devons au préalable identifier les acteurs dans leur géographie, en effet, nous verrons à mesure de cet article que la géographie a eu une place extrêmement importante dans la manipulation politique des identités ethniques.

On peut observer une dichotomie à deux niveaux dans la répartition des populations à Brazzaville : au premier niveau, une opposition binaire Nord-Sud entre Kongos (sud) et M’bochis (nord), deuxièmement, une division Sud-Sud entre les Laris et les « Niboleks », ces deux dernières sous ethnies faisant partie de l’ethnie des Kongos. En République du Congo, on observe une division Nord-Sud, comme dans la plupart des pays Africains après la décolonisation. Cette logique se répercute sur la ville de Brazzaville, notamment en raison des directions d’arrivée des flux migratoires, mais aussi, et c’est ce qui ce qui nous intéresse ici, du découpage administratif de la ville. Ainsi sont rassemblés, au sud de la ville dans le quartier de Bacongo, majoritairement des Laris, originaires de la région du Pool (la région où se situe Brazzaville). Au sud ouest de la ville, a Makélékélé habitent les « Niboleks », originaires des régions du Niari, Bouenza et Lekouman, ceux-ci même sont minoritaires dans le quartier de Bacongo. Au nord, les populations sont plutôt de type M’bochis. Les quartiers de Brazzaville sont donc constitués par regroupement ethnique, ces derniers sont donc peu cosmopolites. La fracture Nord-Sud aujourd’hui encore persiste.
Un pareil découpage administratif divise géographiquement les populations qui sont regroupés dans une logique ethno-régionale, comme ces populations ne cohabitent que peu, cela facilite l’instrumentalisation des opinions qu’ont les uns sur les autres comme le dit si bien l’adage « diviser pour mieux régner ».

Définition de l’identité et son évolution dans un contexte d’instrumentalisation politique :

L’identité, c’est le sentiment d’appartenir à une entité commune, c’est une notion difficile à définir car elle varie dans le temps, dans l’espace géographique et au niveau du ressenti individuel.
Les composantes caractéristiques de l’identité sont très diversifiées, elles peuvent être les pratiques culturelles diverses, la langue, l’histoire, la religion, l’appartenance à l’ethnie…

Une identité Brazzavilloise partagée entre identité ethnique et identité nationale.

Les Brazzavillois et les Congolais en général ont des descendants communs, les bantous, les langues au Congo Brazzaville sont toutes d’origines bantoues, elles se sont simplement différenciées au cours du temps et dans l’espace géographique.
De plus, la langue officiellement reconnue par la constitution est le français, langue parlée par l’extrême majorité de la population Brazzavilloise. La langue française a servi de protection aux populations, par son utilisation, on cachait souvent son appartenance ethnique : un Mbosi, dont la langue est habituellement le Lingala, était moins facilement identifiable s’il utilisait le français. Mais ce ciment social que constitue la langue n’est qu’une prémisse à la construction d’une identité nationale commune.

Hors, comme dans bon nombre de pays d’Afrique, le sentiment d’appartenance à la nation n’est pas prépondérant au sentiment d’appartenance tribale. Les ethnies, ce groupement de familles qui possède une structure économique, ainsi qu’une culture commune et un sentiment d’appartenance partagé, sont nombreuses à Brazzaville, mais on considérera dans le cadre de cet exposé uniquement les M’bochis (Nord), les Laris (Sud) et les « Niboleks »(Sud ouest), car elles constitue les forces en présence à Brazzaville.
Malgré les forts liens linguistiques cités plus haut entre les Brazzavillois, deux groupes linguistiques sont représentés au Congo, le Lingala au nord et le Kituba (anciennement Munukutuba) au sud, ces deux langues sont les langues véhiculaires officiellement reconnues par la constitution mais avec de nombreuse ethnies dont chacune a des spécificités linguistiques, de nombreuses langues vernaculaires sont utilisée a Brazzaville, où l’on peut entendre plus d’une quarantaine de dialectes différenciés.
Au niveau religieux, malgré la domination du christianisme, la période de conflit à Brazzaville fut aussi une période d’effervescence religieuse. La religion, renforce l’unité des peuples quand elle est partagée, ainsi, le développement des religions telles que le kimbanguisme et le matsouanisme chez les Laris à contribué à leur union. Une recrudescence de l’union ethnique constituant irrémédiablement une dilution de l’identité nationale.
Historiquement parlant, on remarque aussi un manque d’unité des peuples présents à Brazzaville, leur développement séparé conduisant à l’absence d’une grande histoire nationale commune.
Les pratiques culturelles, elles aussi sont différenciées à Brazzaville, pour illustrer ce propos, nous évoquerons le phénomène de « la sape », sorte de style d’habillement à la parisienne, attribué au quartier Bacongo de Brazzaville, on peut relier ce mouvement, encore une fois, à l’influence de la culture française héritée de la période coloniale.

L’Etat et les divers partis politiques peuvent vouloir instrumentaliser cette identité nationale, ils peuvent vouloir, selon leurs buts renforcer les identités ethniques existantes voir concourir à la création d’identité jusque là inexistante ou encore consolider ou créer de toute pièce une identité nationale.

Instrumentalisation et évolution de l’identité à Brazzaville à mesure des régimes politiques et des contextes économiques et sociaux.

« Il est impossible de parvenir à une séparation complète entre l’Etat et l’ethnicité…Les décisions gouvernementales concernant les langues, les frontières intérieures, les jours de congé et les symboles de l’Etat, entrainent inévitablement la reconnaissance et le soutien des besoins et des identités des groupes nationaux et ethniques particuliers.»
Will kymlicka, multicultural citizenship, a liberal theory of minority rights, oxford, clarendon press. 1995. p115
Le 5 aout 1960, le Congo accède à l’indépendance, se succède alors différents régime politiques dont la description n’est pas le but dans cet article, en 1979, le m’bochis Denis Sassou Nguesso fait évoluer le régime de type marxiste léniniste en un modèle de libéralisme économique. On est alors sous un régime de parti unique, le PCT (parti congolais du travail). Jusqu’alors, les confits à Brazzaville sont encore des confits Nord-Sud entre les m’bochis, partisans de Sassou Nguesso et les Laris, opposés au régime du parti unique de Nguesso.

En 1990 est instauré le multipartisme. C’est avec la fin du parti unique, que le Congo Brazzaville connaitra sa crise identitaire majeure. En effet, chaque partie politique entretient un discours ambigu. Chacun a des discours d’union nationale, cette notion d’union est utilisée dans la majorité des débats, mais le clientélisme politique demeure omniprésent, et les Brazzavillois savent bien que les élus favoriserons telle ou telle portion de la population de la ville. D’ailleurs les partis utilisent l’identité ethnique pour se constituer un électorat, une identité qui comme nous le verrons est plus géographique. En 1992 est élu Pascal Lissouba, premier président élu de façon démocratique au Congo Brazzaville, son électorat est constitués principalement de « Niboleks », il est largement contesté car à Brazzaville ces même « Niboleks » sont minoritaires, bien qu’il soient en grand nombre dans le pays, ce qui explique son élection. Son opposant principal est Bernard Koleas, soutenue par les Laris du quartier Bacongo. L’Etat, sous Lissouba, de part le système éducatif par exemple, concours sans aucun doute a la formation des identités : Le Niari, le Bouenza et le Lekaman sont des zones géographiques du Congo Brazzaville, pour les retenir aisément, un moyen mnémotechnique est couramment utilisé a l’école «nibolek ». Ce terme « nibolek » constitue une identité inventée de toute pièce car les peuples ressortissants de ces différentes régions n’ont que peu de points communs au niveau culturel, c’est donc une identité plus géographique qu’ethnique mais à Brazzaville la séparation entre ethnies et communautés géographiques est gommée étant donné que les quartiers son ethniquement très connotés. Pourquoi avoir crée cette identité nouvelle ? Cette identité « niboleks » vient sans doute de la volonté de Pascal Lissouba de fédérer un électorat constitué de minorités, lui-même appartenant a une ethnie extrêmement minoritaire.

Cette période est caractérisée par une importante récession économique et le sentiment d’appartenance à tendance à se renforcer dans des contextes économiques et sociaux douloureux, ce qui comme nous l’apprend l’histoire favorise le communautarisme. Aussi, l’oppression d’une communauté par une autre exacerbe les identités ethniques, par exemple l’identité des Laris (majoritairement opposés au président Lissouba et majoritaire à Brazzaville) va se renforcer quand ils seront attaqués par les « niboleks » ( partisans de Lissouba et minoritaires a Brazzaville), plus précisément par la milice du président en place, les « Zulus ». Les ressortissants des régions du Niari Bouenza et Lekouman, les « Niboleks » et les Laris (habitants la région du Pool) sont toutes deux des sous ethnies de la grande ethnie Kongo du Sud, c’est pour cela que ce conflit fut souvent qualifié de fratricide.
On peut même observer la création d’identités ethniques nouvelles. La misère sociale conduisant inexorablement a une crise identitaire, ainsi les jeunes congolais, pour la pluparts instruits, en l’absence d’opportunité d’emploi, vagabondent et errent sans but. Cela offre une opportunité de recrutement sans pareil pour les milices des partis politiques. Les « Ninja » de Bernard Koleas, les « Cobras » de Sassou Nguesso (actuel président) et les « zulus » de Lissouba sont ainsi constitués majoritairement de jeunes hommes sans promesses d’avenir. Ces milices sont identificatrices pour les jeunes miliciens et elles constituent donc pour eux une identité a part entière, du moins un statut social.

En définitive, les politiques, de part leur volonté explicite de se constituer, de conquérir un électorat ethno différencié, de par leur action favorisant leurs propres ethnies, et derrière leur faux discours d’unité nationale, ont largement contribué à la cristallisation des identités ethniques Brazzavilloises. Aujourd’hui la majorité des quartiers est toujours ethniquement très connotée à Brazzaville.
L’identité ethnique omniprésente est loin d’être un atout dans le processus de construction nationale, mais est elle pour autant antithétique d’une Nation forte ?

Bibliographie
-Identité ethnique et conflits civils au Congo-Brazzaville.
Par Jean-Serge Massamba-Makoumbou
-géographie des ethnies, géographie des conflits à Barazzaville.
Par Elizabeth Dorier-Apprill et Robert Ziavoula
-Congo-Brazzaville: autopsie d’une crise politique cyclique.
Par Frederic Bobongo, Romuald Bienvenu Gobert, Modeste Chouaibou Mfenoujou, Léandre Serge Moyen

Sitographie
http://www.indesens.org/article.php?id_article=58
http://www.cairn.info/revue-de-l-ocde-sur-le-developpement-2003-4-page-79.htm
http://leportique.revues.org/1404
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/16/84/67/PDF/THESE.pdf

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