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Le 19 décembre 2014, le premier ministre de la Finlande Alexander Stubb a fait un discours devant les médias dans lequel il a estimé indispensable l’organisation d’un référendum portant sur la question de l’adhésion du pays à l’OTAN. D’après lui, cette mesure sera largement soutenue par le peuple finlandais de par le fait qu’elle s’inscrit pleinement dans le cadre de la politique extérieure de la Finlande (avec la Suède, son pays voisin qui va suivre le même chemin de l’adhésion).

En revanche, le président Sauli Niinistö, soutenu par le ministre des affaires étrangères Erkki Tuomioja, a remarqué que l’adhésion de la Finlande à l’Alliance atlantique ne fera qu’amplifier les tensions dans la région.

Nous allons nous pencher sur les origines et les subtilités de la politique finlandaise actuelle afin de tenter de répondre à la question suivante, à savoir quelles sont les perspectives de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN.

 

Historique

La longue histoire des relations russo-finlandaises est tout sauf un long fleuve tranquille. A l’époque, le Grand Duché finlandais faisait partie de l’Empire russe et bénéficiait des droits très élargis : les Finlandais avaient leur propre Constitution, monnaie et calendrier. La tentative de Nicolas II de «russifier» la Finlande a suscité une vive opposition de la part des patriotes locaux : désigné par les autorités russes, le gouverneur Nicolaï Bobrikov a été tué. En décembre 1917, la Finlande proclame son indépendance ; c’était le premier pays qui a reconnu le pouvoir du nouveau gouvernement bolchévique.

Depuis l’acquisition de l’indépendance, la Finlande a été en guerre avec la Russie quatre fois. En 1918-1920, pendant les péripéties de la guerre civile russe, les Finlandais ont profité du moment et ont lancé une offensive de grande envergure en Carélie, allant jusqu’à Petrozavodsk. Conformément au traité de paix de Tartu, la Russie soviétique a accepté de nombreuses concessions territoriales importantes. Malgré cela, les nationalistes finlandais considérent ce traité de «honteux» même aujourd’hui.

Un autre conflit est survenu en hiver 1921-1922 : les Finlandais ont soutenu les séparatistes de Carélie, mais ont dû subir une défaite au final.

En 1920-1930 l’extrême-droite finlandaise a fait la propagande massive du concept de la «Grande Finlande», les partisans les plus ardents proposaient de redéfinir la frontière entre les deux pays, la traçant le long du fleuve de l’Ienisseï.

Durant la Guerre d’Hiver (1939-1940), l’armée soviétique a subi plusieurs pertes humaines, mais a finalement remporté la victoire, en arrachant 11% du territoire finlandais. La tentative de revanche durant la guerre-suite (la Seconde Guerre mondiale) s’est avérée encore par un échec. En 1944, au moment où l’armée rouge a repoussé les Finlandais de Léningrad et les pays de l’Axe (Berlin-Rome-Tokyo) pnt pris la retraite sur tous les fronts, la Finlande a choisi de se retirer de la guerre en concluant un pacte de paix avec des alliés.

 

Finlandisation

Pour la Finlande, la Seconde Guerre mondiale s’est terminée le 10 février 1947, la date à laquelle le traité de Paris a été signé. Le mauvais choix des alliés, ainsi que des tentatives de revanche militaire ont coûté au pays des territoires perdus et d’importantes indemnités à verser aux vainqueurs.

L’après-guerre pour la Finlande est une période de réflexion amère. Après l’échec du pays dans la Seconde Guerre mondiale, le ministre de la Justice et le futur président Urho Kekkonen a trouvé le courage pour parler au peuple : «Nous ne pourrons jamais avoir la même situation que nous avions eu avant la guerre».

Dans les années qui suivent, la politique finlandaise de voisinage a été définie par la ligne Paasikivi-Kekkonen dont le but était de démontrer l’esprit pacifique envers l’Union soviétique. Le 6 avril 1948 l’URSS et la Finlande ont conclu un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle, selon lequel Helsinki reconnaissait les intérêts stratégiques de l’URSS et promettait de garder la neutralité, ayant en retour la possibilité de garder la démocratie parlementaire, l’économie de marché et surtout sa souveraineté. Cette politique aura le nom de «finlandisation».

Le président finlandais Juho Kusti Paasikivi voulait rassurer Moscou que la Finlande ne présentait pas la menace pour l’URSS, et que le risque d’une attaque militaire en provenance du territoire finlandais était impossible. Paasikivi a contribué au renforcement des relations de bon voisinage avec l’Union soviétique, tout en gardant pourtant une certaine distance avec Moscou. La Finlande restait une partie du monde occidental et n’envisageait pas la possibilité de devenir un jour un pays-satellite de l’URSS.

La «finlandisation» était largement utilisée par les Finlandais pour satisfaire les besoins de leur économie, ravagée par de nombreux conflits militaires. Les relations ont été construites selon le principe «donnant donnant» : les commandes sovétiques ont contribué au développement de l’industrie finlandaise, Helsinki obtenait des matières premières soviétiques à des prix inférieurs à ceux du marché ; de son côté, la Finlande se montrait loyale, en supprimant des films et des livres anti-communistes et en extradant des citoyens soviétiques qui ont voulu quitter l’URSS.

La propagande des relations amicales russo-finlandaises a fini par payer : les dirigeants finlandais ont enfin gagné la confiance de Moscou.

 

Neutralité perdue

La chute de l’URSS a donné à Helsinki un large éventail d’opportunités : trop occuppée par sa situation interne, l’Union soviétique n’était pas en mesure de défendre ses propres intérêts. Mais les autorités finlandaises ont priviligié une approche sobre : ayant cessé d’être une superpuissance, la Russie demeurait toujours un acteur majeur sur l’échiquier international, même si elle était en train de vivre un moment difficile de son histoire. En 1991 la Finlande a résilié la traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle dans le seul but de conclure le même mais avec la Russie qui a succédé à l’Union soviétique. En matière de la sécurité, le point 4 du traité prévoyait une obligation pour les deux Etats de ne pas fournir le libre accès à son territoire dans le cadre de l’agression armée contre l’autre partie et de ne pas accorder une assistance militaire à l’agresseur.

En 1995, la Finlande a rejoint l’Union européenne. Cette adhésion siginifiait l’abandon réel du statut de neutralité, la politique étrangère finlandaise dépendant désormais de la volonté de Bruxelles. Parallèlement à l’approbation de l’inclusion de l’armée finlandaise dans les forces armées européennes, la Finlande se rapproche de l’OTAN en rejoignant en 1994 le «Partenariat pour la paix », un programme de l’Alliance. La Finlande a envoyé ses casques bleus en Bosnie, Kosovo et Afghanistan, mais le Parlement finlandais insiste toujours sur son statut du pays non-aligné.

Si la question de l’appartenance à l’OTAN a toujours été présente sur l’arène politique finlandaise, elle devient pour la première fois un point abondamment abordé pendant les élections présidentielles de 2006. Le candidat Sauli Niinistö a déclaré que la Finlande fera inévitablement partie de l’OTAN, mais la victoire aux élections a été remportée par Tarja Halonen qui s’exprimait contre l’adhésion à l’Alliance.

L’opinion politique finlandaise, majoritairement bienveillante vis-à-vis de son voisin oriental, n’était pas perturbée par la guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008. Bien au contraire, la Finlande prend le côté de la Russie : le premier ministre à l’époque, Matti Vanhanen, a souligné que la Finlande n’avait pas l’intention d’adhérer à l’OTAN et que la principale leçon à tirer de ce conflit est la nécessité de tisser les liens plus étroits avec les Russes.

 

La crise en Crimée

La donne change avec la crise en Crimée. Le 2 mars 2014, le président Niinistö a rassemblé une union en urgence de la Commission gouvernementale sur la politique étrangère et de sécurité. Malgré de nombreux reproches des autorités finlandaises vis-à-vis des actions de Moscou, la Finlande exprime sa volonté de servir de médiateur dans le dialogue entre l’Union européenne et la Russie. Le ministre des affaires étrangères Erkki Tuomioja a remarqué qu’il faudra « de longues négociations impliquant la participation du Conseil de l’Europe et de l’OSCE, et en aucun cas la décision finale ne devra signifier la victoire de uns et l’échec des autres ».

Aujourd’hui en Finlande on observe une certaine « mise à jour » dans la conscience du peuple finlandais concernant l’adhésion à l’OTAN dans la lumière de la situation en Ukraine. On se demande si c’est raisonnable de garder le statut du pays non-aligné, étant donné que la situation géopolitique internationale a radicalement changé.

En avril 2014, la Finlande a signé un accord d’entente avec l’OTAN mais le ministre de la Défense Carl Haglund a souligné que ce document ne représente en aucun cas un pas vers l’adhésion à l’Alliance. Ainsi, il n’y a pas eu de transition politique concernant ce sujet : le gouvernelent a reporté ce débat aux élections législatives qui auront lieu en 2015.

 

Fraction sur tous les fronts

D’après les experts, malgré le prognostic, la question sur l’adhésion à l’OTAN ne va pas essentiellement alimenter les débats pendant les élections législatives : « Elle est trop sensible, la plupart des partis (voire tous) ne voudront pas la mettre au centre de leurs programmes de campagne de peur de froisser l’électeur ».

En effet, les sondages effectués en septembre 2014, montrent que le peuple finlandais ne voit pas son pays parmi les membres de l’OTAN. 57% de la population se sont prononcés contre l’adhésion, 26% – pour, et 17% n’ont pas exprimé leur opinion. De même, aucun grand parti politique n’avait d’opinion claire à ce sujet.

La fermeté parlementaire est très importante, car même si le président Niinistö se prononce prudemment en faveur de l’adhésion, la décision finale ne lui appartient pas. En effet, depuis 2000, les questions de la politique étrangère sont adoptées conjointement avec le gouvernement, d’après la nouvelle Constitution.

En même temps, les Finlandais sont méfiants par rapport à la politique menée par l’OTAN. La plupart de la population finlandaise était contre l’intervention en Irak en 2003. On peut y ajouter le scepticisme croissant vis-à-vis de l’Union européenne, surtout dans la lumière des sanctions décidées par Bruxelles qui ont beaucoup nui à l’industrie finlandaise.
A l’heure actuelle, la Finlande ne veut pas irriter son voisin, mais il est très important de comprendre que les autorités finlandaises vont agir en fonction de la position de la Russie qui devra soigneusement calculer les conséquences de sa politique étrangère. Bien évidemment, la Russie n’est pas intéressée de remplacer un Etat neutre et les frontières tranquilles par des bases militaires de l’OTAN à sa porte, mais tout faux pas stratégique peut donner un espoir aux partisans de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN.

 

Bibliographie :

Henrik Meinander «Histoire de la Finlande » (« Finlands historia. Linjer, strukturer, vändpunkter »), Editions Tout le monde, 2008, 248 pages.

I.Jurgens, S.Kulik « Sur les perspectives du développement des relations entre la Russie et l’OTAN ». –  Editions de l’Institut du Savoir Contemporain, octobre 2010, 71 pages.

Reynolds David « The Origins of the Cold War in Europe: International Perspectives ». — Yale University Press, 1994.

Nadejda Ermolaieva « Quelle adhésion de la Finlande à l’OTAN ? », Rossijskaia Gazeta, 24 juin 2014.

Jonathan Marcus « Nato faces up to crises on its borders », BBC Europe, 3 septembre 2014.

Andrei Malyshkine « La Fédération de Russie encerclée d’ « amis » : la Finlande et la Suède prévoient d’adhérer à l’OTAN », RIA Novosti, le 3 septembre 2014.

Aleksei Kuprianov « La chaude neutralité finlandaise : la Finlande, va-t-elle adhérer à l’OTAN ? », Lenta.ru, 28 novembre 2014.

 


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