Bilan des actions occidentales anti-armes chimiques en Syrie et perspectives diplomatiques

Suite à l’attaque chimique présumée de Douma du 7 avril 2018, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont mené des frappes sur des installations syriennes le 14 avril. Face à cette escalade, plusieurs questions ressurgissent. Quelles utilisations d’armes chimiques ont été faites en Syrie depuis 2011 , et par qui ? Quelles sanctions prévoient les Traités face à ces actes ? Quelles résolutions le CSNU a-t-il adopté face à ces agissements ? Enfin quelles perspectives diplomatiques pour la région, enlisée dans un des plus long conflit du XXIème siècle ?

1. Quelles d’utilisations d’armes chimiques en Syrie ?

Selon le Ministère français des Affaires étrangères, le régime de Bachar Al-Assad aurait eu recours aux gaz de combats près de 130 fois entre octobre 2012 et avril 2017. L’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques a, elle, comptabilisé 45 attaques chimiques présumées entre mi-2016 et fin avril 2017. La commission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Syrie affirme que les troupes du régime syrien ont utilisé des armes chimiques à 27 reprises dans des zones tenues par la rébellion, sur 33 bombardements chimiques dûment attestés depuis 2011.

S’agissant de l’Etat Islamique (EI), en juin 2017, IHS Conflict Monitor a décompté 71 accusations d’utilisation d’armes chimiques par l’EI, dont 41 en Irak et 30 en Syrie, entre juillet 2014 et janvier 2017.

Enfin, des accusations iraniennes, du régime syrien et russes indiquent que les rebelles auraient aussi utilisé des gaz de combats. Plusieurs témoignages font état de blessures liées à l’utilisation de chlore, notamment lors de l’attaque de Sheikh Maqsood, aux environs d’Alep en avril 2016.

2. Quelles sanctions prévues dans les traités ?

L’article XII de la « Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction » signé à Paris le 13 janvier 1993, indique que : « La Conférence prend […] les mesures nécessaires pour assurer le respect de la présente Convention et pour redresser et corriger toute situation contrevenant aux dispositions de la Convention. […] La Conférence peut restreindre ou suspendre les droits et privilèges dont jouit cet Etat partie au titre de la présente Convention. » Et en cas de situation particulièrement grave « porte la question […] à l’attention de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. »

Il n’existe donc que peu de sanctions prévues par les textes, chaque Etat s’engage à détruire son stock et une vérification est mise en place afin que cette promesse soit respectée. Si elle ne l’est pas, c’est au CSNU et à l’AGNU que revient l’obligation de sanctionner.

3. Bilan des résolutions de l’ONU

Le premier texte adopté au CSNU concernant la guerre civile syrienne est la résolution 2042, ou « Plan Annan », voté en avril 2012. Ce plan se fondait sur six points principaux : le dialogue politique, la fin de la violence, l’acheminement de l’aide humanitaire, la fin des détentions arbitraires, la liberté pour les journalistes et la liberté pour les syriens. Par la suite, la résolution 2043 a permis à l’ONU de se doter d’un mandat pour surveiller la cessation des violences. Malheureusement assez peu suivi d’effets, l’utilisation présumée d’armes chimiques dans la Ghouta Orientale en 2013 enterre définitivement le « Plan Annan ». Face à cette crise, le CSNU parvient a adopter la résolution 2118 en septembre 2013, ordonnant la destruction de l’arsenal chimique syrien ainsi que la coopération du régime avec l’OIAC, et son entrée en tant que partie à la Convention. La résolution 2235 de 2015 a permis, quant à elle, la mise en place d’une structure d’enquête en Syrie dédiée à l’étude du recours à l’arme chimique, le Joint Investigative Mechanism (JIM). Cependant, la prolongation du JIM échoue en octobre 2017 suite à un veto de la Russie. Moscou avait d’ores et déjà sous entendu qu’il s’opposerait au renouvellement de ce dernier si son rapport établissait la culpabilité du régime syrien. Enfin, le dernier vote positif concernant la Syrie date du 24 février 2018. Il s’agissait d’un vote à l’unanimité instaurant un cessez le feu humanitaire de trente jours dans la zone de la Ghouta orientale.

Cependant, l’efficacité de ces résolutions est encore à démontrer, et de nombreux autres projets de résolutions ont avorté du fait de veto des membres permanents du CSNU. Or, sans accord au CSNU, il revient à chaque Etat d’agir ou non, dans une action unilatérale (cf. Trump) ou multilatérale (cf. celle de ce matin).

4. Sanctions prises par certains Etats

Plusieurs séries de sanctions ont été prises par des Etats contre le régime syrien, venant surtout de l’UE, des États-Unis et de leurs alliés. Ainsi, en 2011, l’UE, les États-Unis, la Ligue Arabe et la Turquie adoptent des sanctions contre la Syrie, en interdisant notamment le commerce de biens pouvant servir à la répression de la population civile, en émettant un embargo sur le secteur pétrolier, et en gelant les actifs financiers d’un certain nombre de personnalités ainsi que celles de l’état syrien lui-même. Par la suite, d’autres sanctions viseront des personnalités scientifiques, politiques et militaires comme la décision américaine de sanctionner financièrement, en 2017, 271 scientifiques du Centre de recherches et d’études scientifiques de Syrie.

Enfin, Nikki Haley, ambassadrice américaine à l’ONU a annoncé de nouvelles mesures, contre Moscou cette fois, accusé de soutenir le régime syrien : « Des sanctions vont être prises contre la Russie, le secrétaire au Trésor Mnuchin les annoncera lundi. Elles viseront directement toutes sortes d’entreprises en lien avec Assad et l’utilisation d’armes chimiques. Donc je pense que tout le monde va le ressentir, que tout le monde voit que nous envoyons un message fort. Notre espoir est d’être entendus », a-t-elle affirmé.

5. Frappes occidentales du 14 avril 2018

Selon le général Joe Dunford, chef d’état-major américain, les frappes ont visé samedi vers 3 heures du matin à Paris (4 heures en Syrie) trois cibles liées au programme d’armement chimique syrien. Le Pentagone a précisé samedi qu’il s’agissait d’un centre de recherche et de développement à Barzé, dans la banlieue de Damas, et de deux cibles dans la province de Homs. Aucune perte humaine n’est à déplorer, ni du côté américain, ni du côté syrien. Les alliés ont aussi pris soin d’éviter de toucher les forces russes. En effet, Moscou a confirmé qu’aucune frappe n’avait visé les abords de ses bases aériennes et navales et que les frappes n’ont fait “aucune victime” civile ou militaire syrienne. Selon l’agence officielle syrienne Sana, des missiles qui ont visé un site militaire près de Homs “ont été déviés, faisant trois blessés civils”. Mais selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les installations visées étaient des antennes du Centre d’études et de recherches scientifiques de Syrie (CERS) rattaché au ministère de la Défense, “complètement vides” et “évacuées” depuis plus de trois jours.

Enfin, les États-Unis ont affirmé avoir “frappé avec succès” toutes les cibles syriennes prévues par Washington et ses deux alliés. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont lancé au total 105 missiles.Un chiffré corroboré par le haut commandement de l’armée syrienne qui a parlé de “environ 110 missiles [tirés] sur des cibles à Damas et ailleurs” dans le pays, mais affirmé en avoir intercepté “la plupart.” Contrairement à l’avis du général McKenzie, qui a démenti les affirmations de Moscou selon lesquelles 71 des missiles occidentaux auraient été interceptés.

6. Perspectives diplomatiques

Dans le conflit syrien nous assistons à l’opposition entre un bloc occidental, composé des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France principalement, face à un bloc rassemblant la Russie, l’Iran et la Chine. La Turquie essaye, quant à elle, de maintenir une position de médiateur, soutenant les frappes occidentales mais participant aux négociations d’Astana et Sotchi avec la Russie, l’Iran et certains groupes rebelles. Enfin, un ennemi commun à tous existe toujours, du moins sur le papier. Il s’agit de l’EI et autres mouvements djihadistes, mais leur définition exacte reste floue.

Le président français Emmanuel Macron avait, selon Ulysse Gosset, prévu un sommet pour la paix au Moyen-Orient, sorte de « Yalta » de la région. Stoppé par l’utilisation présumées d’armes chimiques la semaine dernière, la France souhaiterait poursuivre les négociations permettant la tenue de cette réunion exceptionnelle. Il semble que cela soit de plus en plus difficile à mettre en œuvre, du fait de l’intervention française du 14 avril d’une part, mais aussi de l’existence d’intérêts extrêmement divergents des grandes puissances dans la zone. La Turquie pourrait tenter de s’imposer comme médiatrice mais n’a aucun intérêt à voir les frontières de la région modifiée, surtout dans la zone de peuplement kurde où son armée est engagée. Dès lors, le gagnant, et ce depuis le début de l’intervention russe, se trouve être Bachar Al-Assad. Les occidentaux ont, certes, bombardé des sites, mais refusent toutes déclarations de guerre comme l’a indiqué à deux reprises le président français hier. La reprise de la région de la Ghouta Orientale par le régime se poursuit donc et, avec l’aide de l’Iran et de la Russie, la mainmise du président syrien sur le pays.

Sources

ATTIA Syrine et Les Décodeurs, « L’ONU et la Syrie, une histoire de veto et de résolutions adoptées », 20 décembre 2016, URL : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/20/qu-a-fait-le-conseil-de-securite-de-l-onu-depuis-le-debut-du-conflit-syrien_5052133_4355770.html

« Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction », Paris 13 janvier 1993.

« Armes chimiques en Syrie: la France sanctionne 25 entreprises responsables », 23 janvier 2018, Novethic, URL :http://www.novethic.fr/actualite/social/droits-humains/isr-rse/armes-chimiques-en-syrie-la-france-sanctionne-25-entreprises-responsables-145343.html

« Attaque chimique: Washington annonce des sanctions contre 271 Syriens », 24 avril 2017, Lexpress, URL : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/attaque-chimique-washington-annonce-des-sanctions-contre-271-syriens_1901988.html

« Le point sur les frappes occidentales en Syrie », 14 avril 2018, Latribune, URL:https://www.latribune.fr/economie/international/le-point-sur-les-frappes-occidentales-en-syrie-775396.html

« Syrie: les Etats-Unis devraient annoncer de nouvelles sanctions contre la Russie », 16 avril 2018, RFI, URL : http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180416-syrie-etats-unis-devraient-annoncer-nouvelles-sanctions-contre-russie

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*