Est-ce (de nouveau) l’heure de la Françafrique ?

Emmanuel Macron et le président malien Ibrahim Boubacar Keita à Paris, le 31 octobre dernier.

Voici la question que nous pouvons se poser cette semaine. A l’heure de la première tournée du Président, Emmanuel Macron, en Afrique, il semble important de faire un tour d’horizon de la Françafrique de demain. Le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont les trois étapes qui se succèdent au cours de son voyage officiel du 28 au 30 novembre.

Emmanuel Macron a débuté son court marathon ce mardi 28 novembre avec un discours à l’Université de Ouagadougou devant 800 étudiants. Il a répondu « librement » aux questions de l’hémicycle sur les thèmes du secteur privé, de la mobilité et de l’éducation. Ce qui a toutefois marqué c’est l’idée de rupture, de fin des tabous. « La politique africaine de la France c’est finie » a déclaré le Président. Il a ainsi mis les étudiants devant leurs responsabilités ce qui a plu à certains mais pas convaincu d’autres … Le Président du Burkina Faso, Roch M. C. Kaboré, a été finalement la plus grande victime de ce franc parlé assumé, chaotique diront certains. Il a été pris à parti et quasiment humilié devant ses étudiants lorsqu’Emmanuel Macron a traité de la question de l’électricité : « C’est le travail du Président ». Nous pouvons presque parler d’un incident diplomatique puisque non seulement Roch M. C. Kaboré est parti mais surtout parce qu’en réponse à ce départ, le Président français a renchéri d’un « il est parti réparer la climatisation ». Pourtant, il semble que cette inhabituelle séance de théâtre ait en majorité convaincu les étudiants. Il reste tout de même toujours une zone d’ombre, celle des entreprises et des troupes françaises en Afrique. Emmanuel Macron a continué à assurer que cette présence servait les intérêts africains.

La première cible de l’Elysée a été donc claire et logique : il est question de parler à la jeunesse africaine, principale force du continent. En amont nous retrouvons l’un des sujets prioritaires du Président, l’économie de demain et en particulier les PME. La France cherche ainsi à retravailler son partenariat avec son ancien pré carré. Il n’est plus désormais question de manier des gouvernements corrompus et militarisés (par nos soins), mais bien de créer une coopération économique. Il faut faire de l’Afrique un incubateur de start-up.

Pourtant il semble que la France et son Président n’ont pas été les bienvenus au Burkina Faso. A l’occasion de cette visite, le gouvernement de Roch Marc Christian Kaboré avait fermé lundi et mardi les écoles de la province du Kadiogo, c’est-à-dire à Ouagadougou et sa périphérie. Cette fermeture, par mesure de sécurité, n’a pas été comprise par la population. Dès dimanche des appels à manifester ont été émis par plusieurs organisations de la société civile burkinabè. Un conseiller de l’Elysée avait donc bien compris que « ce n’est pas un public conquis d’avance par ce qu’on vient de dire ». Mardi matin, au lendemain de l’arrivé du Président français, une grenade a explosé proche d’un véhicule militaire français. Elle n’a blessé que 3 civils mais prouve bien les tensions qui entourent cette rencontre. Par ailleurs, le convoi de la délégation accompagnant Emmanuel Macron a été « caillassé ».

Cette vision négative de la France est, en réalité, tout l’enjeu de ce déplacement. Un certain nombre de thèmes sont brûlants pour nos anciennes colonies. Nous pouvons y citer l’appui ou du moins le laxisme de la diplomatie française face aux différents dictateurs africains. Les pillages des ressources sont un autre débat récurrent dans la relation liant le vieux continent à l’Afrique. Pour finir l’image de la colonisation et son histoire reniée est à l’origine de cette hostilité grandissante. C’est du moins ce qu’Emmanuel Macron a reconnu hier durant son discours à Ouagadougou. Un travail de mémoire devra être mise en place pour apaiser et libérer cette Françafrique. Tous ces thèmes, politique, économique et historique, s’entrecroisent dans l’imaginaire africain et empêche un débat serein.

D’un point de vue plus actuel, alors que 4 500 militaires français participent à l’opération Barkhane, les questions sécuritaires touchant le continent seront certainement abordées. L’insécurité qui règne au Sahel, au Nord du Nigeria, en Centrafrique, au Sud Soudan et dans les Grands lacs ne peut pas être ignorée par Emmanuel Macron. En outre, il ne peut pas échapper à ces problématiques qui expliquent en partie la crise migratoire européenne qui découle justement de l’insécurité grandissante et du manque de développement en Afrique.

Autre sujet de tension sur lequel le Président a été attendu : le franc CFA. Ce carcan monétaire imposé par le Trésor français aux 8 Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine bloque toute souveraineté et financement de l’économie. C’est un sujet systématiquement écarté par le pouvoir français depuis son instauration en 1994. Pourtant il semble évident que ce débat sera difficilement tenable dans le temps. Le Président a, ainsi, émis un avis plutôt favorable à la modification du périmètre géographique du franc CFA, du changement de son nom ou de sa totale suppression. Il laisse aux dirigeants africains la responsabilité de ce choix. Aujourd’hui, effectivement, l’Afrique s’est mondialisée. La Chine, par exemple, a fait une entrée fracassante sur ce continent. Cette nouvelle diplomatie de l’économie a relayé au placard le colonialisme militaire et donneur de leçon. La France tente donc avec cette tournée de faire peau neuve.

Ce déplacement reste accès sur la jeunesse, l’investissement et l’innovation. Le Président Macron a visité une centrale solaire au Burkina Faso. Pour redorer l’image de la France en Afrique, il pose à Abidjan la première pierre du métro ivoirien, pour lequel Paris a accordé un prêt de 1,4 milliard d’euros. Il participera ensuite bien entendu au Sommet Union africaine – Union européenne qui devra lancer les prémisses d’une nouvelle relation moins asymétrique que celle héritée de l’Accord de Cotonou. Pour finir sur une vision plus continentale que francophone, il passera par Accra, capitale d’un Ghana anglophone en pleine croissance. C’est en compagnie de l’ex-footballeur de l’Olympique de Marseille, Abedi Pelé, dans le quartier défavorisé de Jamestown, que le Président plaidera pour « l’intégration et l’insertion par le sport ». La communication politique à destination des populations africaines a été donc travaillée avec soin.

Mais il faut noter tout de même qu’Emmanuel Macron entretient un lien particulier avec l’Afrique. Il s’était battu en 2002 pour que sa promotion de l’ENA prenne le nom de Senghor. Lorsqu’il a fallu réaliser son premier stage en Ambassade, il n’a pas choisi les grandes capitales occidentales mais plutôt Abuja au Nigéria. Jean-Marc Simon, l’ex ambassadeur français au Nigéria témoigne : « c’est dans mon bureau à l’ambassade qu’il a suivi la soirée électorale du duel Chirac-Le Pen ».

Emmanuel Macron aurait ainsi la volonté de casser la mauvaise image véhiculée par ses prédécesseurs. Pour cela il s’est entouré, depuis cet été, d’un « Conseil présidentiel pour l’Afrique », composé principalement de jeunes entrepreneurs binationaux en lien étroit avec leurs pays d’origine, qui lui apportent une autre vision de l’Afrique que les réseaux diplomatiques traditionnels de ses prédécesseurs. Nous ne pouvons pas savoir s’il va suivre les recommandations de ce Conseil. Il faudra aussi voir si, avec le temps, ces promesses de rupture ne sont que la communication de cette tournée ou bien des faits tangibles dans les prochaines années. Nous voyons donc, peut-être, avec cette présidence émerger la première grande fracture dans la politique classique de la Françafrique. C’est tout ce qu’on peut souhaiter à la relation entre la France et le continent Africain, relation qui se veut tout autant historique que prometteuse.

Le président français Emmanuel Macron quitte un sommet du G5 Sahel, à Bamako, le 2 juillet 2017

Le président français Emmanuel Macron quitte un sommet du G5 Sahel, à Bamako, le 2 juillet 2017 Photo CHRISTOPHE ARCHAMBAULT. AFP

 

Auteur : Alexandre LAPARRA

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